Léon Werth, Antoine de Saint-Exupéry

Saint-Exupéry essaie le vélo de Werth

Il y a 80 ans disparaissait Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944). Parmi ses biographes se trouve son meilleur ami, Léon Werth (1878-1955).

Léon Werth est une figure inclassable. Écrivain brillant, d’origine juive, critique d’art, militant de gauche proche des milieux révolutionnaires, il fréquente les grands artistes de son temps comme Pierre Bonnard, Vlaminck, Paul Signac ou encore Octave Mirbeau.
Léon Werth et Antoine de Saint-Exupéry se côtoient depuis 1931, année où Saint-Exupéry reçoit le prix Femina pour Vol de nuit. Ce dernier admire Léon Werth, son aîné de 22 ans, depuis qu’il a lu son livre Clavel soldat, roman antimilitariste, puissant et sans concession, tiré de son expérience de la Première Guerre mondiale et publié en 1919. Léon Werth se fit remarquer aussi pour son roman Maison Blanche (1913) qui manqua le prix Goncourt de peu et pour son livre Cochinchine (1926), roman anticolonialiste. Saint-Exupéry aime venir le voir dans le Jura et échanger avec lui sur la politique et la littérature. L’un et l’autre s’influenceront mutuellement, se voyant très régulièrement.
En 1939, Antoine de Saint-Exupéry commence l’écriture du Petit Prince qu’il dédie à Léon Werth et qui sera publié en 1943 :

« A Léon Werth. Je demande pardon aux enfants d’avoir dédié ce livre à une grande personne. J’ai une sérieuse excuse : cette grande personne est le meilleur ami que j’ai au monde. J’ai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, même les livres pour enfants. J’ai une troisième excuse : cette grande personne habite la France où elle a froid et faim. Elle a besoin d’être consolée. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dédier ce livre à l’enfant qu’a été autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants (mais peu d’entre elles s’en souviennent). Je corrige donc ma dédicace : A Léon Werth quand il était petit garçon »

De son côté, Werth rend hommage à l’aviateur dans 33 jours, qui traite de l’exode de 1940. Il raconte que son bien le plus précieux durant cette période est un exemplaire de Terre des hommes. Ce livre porte d’ailleurs la mention « spécialement imprimé pour monsieur Léon Werth », avec la dédicace : « parce qu'il est un des meilleurs amis que j'aie au monde (...) et il ne sait pas combien je lui dois ».
En 1943, le manuscrit de 33 jours est confié par Léon Werth à son ami pour qu’il soit publié aux États-Unis. Ce livre de Werth est d’ailleurs évoqué par Saint-Exupéry dans Pilote de guerre (1942).

En 2014 est retrouvée la préface que Saint-Exupéry avait écrite pour 33 jours, sorte de résumé de Lettre à un otage (1943). Livre écrit aux États-Unis et qui paraîtra en France en décembre 1944, cinq mois après la disparition en mer de Saint-Exupéry. Ce texte est clairement adressé à son ami Léon Werth resté dans la France occupée.
Enfin, dans son journal des années 1940 à 1944, publié en 1946 sous le titre Déposition, Werth consacre de nombreuses pages à Saint-Exupéry. Elles seront publiées à part en 1948 dans un livre intitulé Saint-Exupéry tel que je l'ai connu. Il relate notamment comment il apprend la mort de son ami :

« Onze heures du soir. J’écoute vaguement la radio. Soudain, j’entends : "le pilote français, de Saint-Exupéry, qui appartenait à une formation dissidente, a été porté manquant à la suite d’une mission au-dessus de la France". Je vois la chute d’un avion désemparé, je vois un avion qui brûle, je vois son visage… Je pense à tant d’heures d’amitié… »

Benjamin, avril 2024

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